La compagnie Bordes a possédé successivement 4 voiliers nommés Adolphe, du nom d’Adolphe Bordes (1858-1918), directeur de la compagnie maritime éponyme. L’adolphe n°1, 3-mâts barque en fer de 1175 t, a fait naufrage en 1880 au large du Chili. L’Adolphe n°2, 3-mâts barque en fer de 1975 t, est vendu à un armateur norvégien, puis converti en ponton en 1904. L’Adolphe n°3, 4-mâts barque en acier de 3910 t, fait naufrage au large de l’Australie en 1904. L’Adolphe n°4, 3-mâts carré en acier de 3450 t, construit aux chantiers de Glasgow en 1892, sera démoli en 1923. C’est sur ce dernier navire, illustré par la photo ci-dessus, que va naviguer Toussaint Lanneau.

Jeanne vit le départ de Toussaint avec inquiètude : « Je suis brave … C’est pour notre bonheur que nous nous sommes séparés … Je trouve une place vide à Chateau Bily ». Pendant quelques jours elle se demandera si elle est enceinte, mais dès le 9 juillet elle sait qu’elle ne l’est pas.

Le bateau part de Dunkerque le 4 juillet, et il arrive le 7 juillet à North Shields, avec embarquement de charbon et achats de meubles. Ils peuvent encore s’envoyer des lettres.

Voilier sortant du port de Dunkerque, tracté par un remorqueur. Dunkerque est alors le principal port d’attache de la compagnie Bordes. Plus de la moitié des cargaisons de nitrate importées par l’armement Bordes y sont déchargées.
North Shields vers 1910. C’est un port stratégique pour l’exportation du charbon. Il est situé à l’embouchure de la Tyne au nord-est de l’Angleterre.

Le 14 juillet Toussaint sachant qu’il part le lendemain pour Iquique envoie une longue lettre à Jeanne lui annonçant qu’elle sera sans nouvelle pendant trois mois. Il espère être de retour en février ou mars.

Le 15 juillet 1906 l’Adolphe part de North Shields pour le Chili. Premier passage du Cap Horn pour Toussaint. Il arrive à Iquique le 12 novembre. L’Adolphe ayant mis beaucoup de temps pour ce voyage, il a été annoncé comme perdu par certains journaux. Voici ce que Toussaint écrit de ce voyage : « La traversée a été de 120 jours, nous n’avons pas été favorisés par le vent : en Manche, de la brume et des vents contraires nous ont retenus 10 jours. En Atlantique au contraire, le temps assez beau nous a fait parcourir assez rapidement. J’ai été rebaptisé en passant la Ligne. Au Cap Horn, nous avons passé vingt-huit jours au milieu d’une tempête et d’une mer démontée. Pendant ce temps, à peine si nous avons parcouru quelques kilomètres.

Dans la tempête

Ensuite, dans le Pacifique, nous sommes remontés dans le Nord assez vite, et dans la matinée du 12 Novembre nous aperçûmes la terre d’Iquique.

Je t’assure que ce n’est rien de beau à voir ! C’est un triste pays : pas un brin d’herbe, pas un arbre, nulle part, de tous côtés on ne voit que des montagnes de sable. Et au pied de ces monstres énormes apportés par le vent, la triste ville d’Iquique dont les maisons, ou plutôt les maisonnettes, sont des cabanes en bois. Bien que vous devez sentir l’hiver en ce moment, ici au contraire on se trouve en été, et la chaleur est étouffante mais le climat est sain.

Je ne peux te dire le jour, ni même le mois, de mon départ de ce port. Mais on ne partira pas beaucoup avant Noël, car le déchargement de 3 000 tonnes de charbon que nous avons à bord demandera beaucoup de temps, et ensuite il faudra embarquer le salpêtre. Je vois donc que j’aurai peu de chance d’arriver en France avant les examens à Saint-Brieuc ; mais dans ce cas, je pourrai au besoin rejoindre un autre centre d’examen. »

La rade d’iquique, principal port de chargement du nitrate.

Jeanne lui écrit des lettres dès le 28 aout ; elle lui raconte sa vie au service des Rosmorduc. Le 5 novembre la famille s’installe à Rennes au 56 boulevard de Sévigné parce que les enfants Rosmorduc, Tanguy et Tugdual vont suivre des cours dans cette ville. Jeanne y est parfois cuisinière. A plusieurs reprises dans ses lettres Toussaint suggère à Jeanne de quitter les Rosmorduc mais elle ne le fera pas.

L’Adolphe repart d’Iquique le 23 décembre 1906 après déchargement du charbon et embarquement du salpêtre. Il arrive à Dunkerque, après son 2ème passage au cap Horn, le 5 avril 1907. Le capitaine Le Corfec fait un très bon certificat à Toussaint.

Quatre capitaines de la compagnie Bordes photographiés au Chili vers 1912. Le capitaine Le Corfec est assis au centre. Atteint de typhoïde il décèdera au Chili. (Source : Souvenirs des marins de la Compagnie Bordes de Brigitte et Yvonnick Le Coat.)

Toussaint quitte l’Adolphe et retrouve son épouse dés le 7 avril sans doute à Rennes et à Convenant Prat. Pendant son absence, en janvier 1907, un examen se déroule auquel il n’a pu participer.